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Le dernier discours public de Jésus :

l'annonce de sa glorification par sa mort

Jean (12,20-36)

Par Anselm Grün

Ce dernier discours public, Jésus le tient devant des Grecs. Ils représentent probablement ceux d'entre les païens qui craignent les dieux et veulent adorer dans le Temple celui d'Israël, mais aussi toute la culture grecque : ces Grecs qui viennent vers Jésus figurent la philosophie grecque et la culture hellénistique où confluent et se mêlent les religions de la Perse, de l'Egypte, de la Grèce et de Rome; Jean décrit ainsi l'activité missionnaire à venir. Mais l'affaire n'est pas simple. Un païen qui voulait entrer dans la communauté devait être recommandé par deux de ses membres ; dans notre texte, ils s'adressent aux deux apôtres qui parlent le grec, Philippe et André, et André le rapporte à Jésus. Certains exégètes sont d'avis que Jésus ne veut pas répondre aux Grecs, d'autres pensent que les Grecs ne pourront voir Jésus qu'après qu'il sera mort pour le monde entier. Personnellement, je comprends autrement ce discours de Jésus : il répond à leur aspiration la plus profonde.

Sa réponse commence par ces mots qui résument le but de son passage sur terre : «L'heure est venue où le Fils de l'homme doit resplendir» (12,23). Dans tout l'Évangile, revient sans cesse l'évocation de l'heure qui n'est pas encore venue, cette heure où doit s'accomplir tout ce que Dieu voulait révéler aux hommes à travers son Fils ; c'est celle de la mort, condition pour que les Grecs eux aussi connaissent le salut, car c'est pour le monde entier que meurt Jésus. Un mot essentiel apparaît ici qui, dans le discours d'adieu, ne cessera d'être répété : la gloire, la glorification : doxa. Doxa signifie : la gloire de Dieu, l'éclat de sa lumière, l'être de Dieu : cette magnificence supraterrestre qui devient visible dans le monde.

La doxa n'est pas seulement pour Jean une notion importante. Chez Luc, la magnificence de Dieu, sa gloire, se manifeste lors de la naissance de Jésus et lors de sa Transfiguration, quand il prie avec ses disciples sur la montagne (Lc 9,28-36). Le message caractéristique de Jean, c'est que la gloire de Jésus apparaît précisément sur la croix, visible par tous ; le véritable tournant et le point culminant de la Révélation, c'est la croix. Pendant  la vie de Jésus, seuls ont vu sa gloire ceux qui ont été ses témoins directs et qui ont cru en lui ; sur la croix, où Jésus est élevé au-dessus de la terre, aux yeux de tous, sa gloire apparaît au monde entier.

Par cette glorification, cet éclat de la lumière divine qui devient visible dans un événement terrestre, Jésus parle à l'aspiration profonde des Grecs, qui sont avant tout des visuels. Voir, regarder un spectacle pour y découvrir le mystère de la vie, constituait l'un des thèmes centraux de leur philosophie et de leur religion. Dans la vision de la croix, il leur est donné de contempler tout ce à quoi ils aspiraient. Toutefois, Jésus modifie la façon de voir des Grecs : c'est précisément dans la Passion, dans la mort cruelle d'un homme, qu'ils contempleront la lumière, la gloire et l'amour de Dieu ; ils ont donc besoin d'une nouvelle vision.

Par sa deuxième parole, Jésus répond à une autre aspiration des Grecs, à deux questions essentielles pour eux : celle de la réussite de la vie et celle du mystère de l'Incarnation. Jésus reprend une image connue dans le monde antique, celle du grain de blé : «... le grain de blé tombé en terre, s'il ne meurt pas reste tout seul mais s'il meurt, il donne beaucoup d'épis » (12,24). Ainsi Jésus explique-t-il l'effet de sa mort en croix : elle libère de grandes forces qui transforment le monde, les forces de l'amour, qui éveillent une conscience nouvelle et prennent racine dans les âmes de nombreux hommes (cf. Sanford 2, p. 103). Par sa mort, Jésus devient accessible aussi aux Grecs, ils ont part à ses fruits. Cette image décrit également le chemin qui nous mène à notre humanité : nous ne pouvons y accéder que si nous sommes prêts à mourir, à nous déprendre de nous-mêmes. Notre vie ne devient féconde que si nous cessons de nous y cramponner. Jésus avance cela en une phrase qui apparaît aussi dans les synoptiques : «Qui aime sa vie la perdra mais qui ne l'aime pas en ce monde-ci la garde pour la vie à venir» (12,25). La vie en ce monde-ci est en effet toujours marquée d'avance par la mort, elle est plus mort que vie ; l'aimer, c'est en fin de compte aimer la mort, et « donc miser a priori sur la mauvaise carte» (Blank, p. 311). «Celui chez qui le souci de sa vie devient névrotique (qui tient à sa vie) ne peut pas vivre vraiment, car il s'est fait l'esclave de sa peur» (Leong, p. 105). À cette question essentielle pour les Grecs: «comment réussir sa vie ? » Jésus répond par des images qu'ils peuvent comprendre : pour que l'être humain accède à sa véritable nature, à son Soi, il faut que meure son ego. Tant qu'il n'a pas l'illumination, il prend le monde des apparences pour la réalité ; pour pouvoir contempler la gloire de Dieu, il lui faut mourir, cesser de graviter autour de lui-même. À cette condition, sa vie portera des fruits, créera du neuf. Ce n'est pas le succès extérieur qui compte, il n'est souvent que l'expression d'une «âme morte » ; les fruits authentiques naissent du centre de notre âme, dont le moi nous barre l'accès. Le moi doit être dépossédé de son pouvoir pour que nous entrions en contact avec ce centre créatif.

Aux versets suivants, Jean fait allusion au combat de Jésus que les synoptiques situent au mont des Oliviers. « Ma gorge se serre à présent. Que dire ? Père, sauve-moi de cette heure?» (12,27). À l'approche de la mort Jésus est bouleversé, il connaît soudain le désarroi, l'angoisse, mais il ne prie pas Dieu de l'y soustraire ; au contraire il le prie de glorifier le nom du Père. L'heure de la plus grande tentation, de l'échec apparent, est aussi celle où se manifeste l'éclat de la lumière divine. Ici, Jean radicalise sa conception de la gloire de Dieu. Si dans la pire situation imaginable, la mort cruelle sur la croix, brillent cette lumière, l'amour de Dieu, sa nature même, alors plus rien n'en est exclu, tout en nous peut être transformé ; tout est dans la main bienfaisante de Dieu, même ce qui en semble le plus éloigné. Si Jésus en cet instant prie Dieu de glorifier le nom du Père, il prie finalement pour que dans cette situation si éprouvante pour un homme, ce ne soit pas l'angoisse et la faiblesse humaines qui l'emportent, mais la puissance et l'amour de Dieu. Quand se met à luire au plus fort de ma peur la confiance, dans l'amertume l'amour, dans le désespoir l'espérance. Dieu illumine ce monde. S'ouvre alors à nous ce que Thomas Merton a défini comme l'essence de la mystique : « Tout ce qui est, est sacré. » Tel est le paradoxe : Jésus est glorifié précisément sur la croix ; tout proclame la présence de Dieu, tout est plein de sa lumière.

Le Père conforte alors Jésus : «Alors, du ciel, une voix est venue : II resplendit déjà et je le ferai encore resplendir» (12,28). À travers les sept «signes» il a manifesté sa gloire en Jésus ; il ne va pas maintenant l'abandonner, au moment du dernier signe, la mort sur la croix. La foule des Juifs alentour entend la voix de Dieu mais ne la comprend pas. Ces gens pensent avoir entendu le tonnerre, ou qu'un ange a parlé. Jésus saisit l'occasion de cette méprise pour parler de sa mission qui va prendre fin; il s'exprime à trois reprises. Sa mort porte jugement sur ce monde : «... dès à présent le Prince de ce monde est expulsé » (12,31). Cette mort ébranle notre assurance et nous contraint à prendre parti: l'heure de Jésus est critique pour nous, c'est celle du jugement. Les critères de ce monde perdent leur importance, car son pouvoir est brisé, et celui qui le domine éliminé. C'est là l'image mythique d'une réalité que nous connaissons bien. Quand l'amour se manifeste aussi clairement que dans la mort de Jésus, toutes les puissances de ce monde sont désarmées : l'argent, le sexe, la course au pouvoir et au prestige; surgit un autre monde, où les hommes sont chez eux et peuvent vivre ensemble une vie vraiment humaine.

Jésus donne une deuxième réponse à la question du sens de sa mort: «Quand j'aurai été hissé, je tirerai tous les hommes jusqu'à moi » (12,32). Apparaît là un autre mot particulièrement important dans l'Évangile de Jean : élever, être hissé. Le sens en est double : l'arbre de la croix est dressé et Jésus crucifié est exhaussé ; à cette élévation extérieure correspond un sens intérieur. Dans l'Ancien Testament, élever signifie donner la royauté, le pouvoir, les honneurs et le prestige. Hissé sur la croix, Jésus l'est au-dessus du monde entier, transporté dans la sphère de la puissance divine ; ce qui se passe dans l'élévation apparente sur la croix, c'est une élévation céleste : Jésus est instauré en maître de la terre et du ciel, désormais il siège à la droite du Père et intercède pour nous. Cette élévation est aussi une image de notre existence de chrétiens : nous aussi, la croix nous arrache aux puissances de ce monde, elle nous hisse en Dieu, nous transporte dans la sphère de la lumière divine.

Du haut de la croix Jésus tirera tous les humains à lui. Le geste visible des bras étendus cloués sur la croix est pour Jean un geste d'amour : ces bras ouverts sont une invitation adressée à tous ; de l'amour qui se révèle dans cette mort, nul n'est exclu, quiconque regarde la croix peut se sentir invité à chercher refuge dans ces bras prêts à l'accueillir; il y trouvera le salut, la santé et son être complet. Cette parole : « Je tirerai tous les hommes à moi » fait écho au thème du rassemblement de tous les peuples tant de fois promis par le prophète Isaïe. Sur la croix, Jésus rassemble les brebis éparses d'Israël, mais aussi tous ceux qui, disséminés à travers le monde, ont soif d'unité, de salut et de complétude. Le mot grec heiko évoque l'image de l'aimant dont la force invisible attire à lui toutes choses. La mystique chrétienne voit en Jésus un aimant dont la force s'exerce sur toutes les âmes (cf. Sanford 2, p. 109).

La troisième réponse reprend encore une fois le motif de la lumière, qui apparaissait dès le Prologue : « La lumière est avec vous pour peu de temps encore. Marchez tant que vous avez la lumière afin que la nuit ne s'empare pas de vous. Celui qui marche dans le noir ne sait pas où il va. Tant que vous avez la lumière, faites confiance à la lumière, et devenez ses enfants » (12,35-36). Jésus est la lumière qui vient en ce monde, sa mort en croix nous invite à nous laisser illuminer et à marcher désormais dans la clarté ; car dans les ténèbres nous sommes désorientés, errant au hasard dans ce monde. Jésus est mort pour faire de nous des enfants de la lumière ; croire en l'éclat qu'elle manifeste sur la croix avec le plus de force, c'est participer de la gloire de Dieu, c'est voir sa vie transformée. Cette troisième parole s'adresse elle aussi au désir de divinisation des Grecs, qui voulaient marcher dans la lumière, devenir lumière. La tradition grecque connaissait l'homme Kalos Kagatos, beau et bon, accordé avec lui-même ; Jésus réalise cette aspiration, mais là où les Grecs l'auraient le moins attendu : sur la croix.


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Modifié le  14-02-2012.