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La guérison de « l'homme à la main sèche » (Marc 3,1-6)

Par Anselm Grün

Dans une synagogue, Jésus voit un homme dont la main est desséchée. J'imagine sans mal le problème de cet homme : la main me sert à saisir les objets et à donner forme à ma vie, à la prendre en main. Avec la main, je prends ce dont j'ai besoin et je donne ce que j'ai à donner; je touche les autres, je leur tends la main, je noue une relation, j'offre un soutien, je manifeste ma tendresse et mon amour. La « main sèche » signale un homme qui a retiré, repris sa main ; il ne veut pas se brûler les doigts ni se salir les mains. Il a déserté le combat pour la vie, se contentant du rôle de spectateur. À force de s'adapter ainsi, il a perdu toute énergie, il est refermé sur lui-même, il ne peut plus rien prendre en main ; il est devenu incapable d'agir.

C'est le sabbat ; selon les pharisiens, il est interdit de guérir, sauf en cas de danger mortel : le respect du commandement compte plus pour eux que la guérison d'un homme, ce qui fausse le sens originel du sabbat. Mais Jésus, lui, ne laisse pas les pharisiens entraver son action ; il ordonne à l'homme à la main sèche : « Lève-toi. Viens au milieu » (3,3). Cet homme qui n'a jamais fait que s'effacer, qu'observer de côté tout ce qui se passait, sans jamais prendre d'initiative ni de responsabilité, doit maintenant se mettre au centre, affronter les autres. Et voici le sens second de cet ordre : «Toi aussi, tu es important, tu es à ta place au milieu. » Pour moi cela signifie également : « Courage ! Assume-toi enfin toi-même ! Tu es décentré, recentre-toi sur toi-même ! » Jésus demande là presque l'impossible à cet homme, sur qui tous les regards sont maintenant rivés, et à qui arrive ce qu'il avait toujours voulu éviter; il ne peut plus se dérober, il doit affronter la situation.

Jésus se tourne alors vers l'assistance composée, d'après le verset 6, de pharisiens, même si d'autres encore étaient peut-être présents, retranchés eux aussi derrière la Loi et attendant de voir si Jésus allait guérir pendant le sabbat. Il semble, lui, seul en face d'un mur de silence et d'hostilité, mais il est là, calme, entièrement présent, comme toujours lorsqu'il entre en scène, rayonnant d'une telle vie que personne ne peut l'ignorer, mais que chacun est tiré de son retranchement et obligé de prendre position.

Et Jésus leur demande : « Serait-il défendu, le jour du sabbat, de faire du bien plutôt que du mal ? De sauver une vie au lieu de la détruire?» (3,4). La question semble rude, car le seul souci des pharisiens était d'observer les commandements et de les faire passer dans la pratique quotidienne. Or Jésus conteste leur interprétation nocive pour l'homme parce qu'elle détruit la vie. Considérer la Loi comme plus importante que l'homme, placer la norme au-dessus de la détresse d'un malade, c'est faire le mal. Dans le contexte d'une telle étroitesse doctrinaire et formaliste, l'être humain étouffe, il ne peut pas vivre. Se crisper sur les seuls commandements, c'est en fin de compte tuer l'âme, psukhè, mot qui signifie non seulement l'âme mais aussi la personne et sa vie même ; emprisonner la personne dans des normes strictes la détruit, l'âme a besoin d'ailes pour voler, et non d'un corset de prescriptions.

Les pharisiens restant muets, Jésus « les toisa du regard avec colère. Il était triste aussi qu'ils aient le cœur si dur» (3,5). Colère et tristesse: une intéressante association de sentiments. Avec colère, cela ne veut pas dire que Jésus explose ou qu'il vocifère contre eux, mais qu'il prend, avec force, une distance pour se défendre. Il leur dit de cette façon : « Vous êtes ainsi faits, soit ; je ne vous le reproche pas, libre à vous d'avoir un cœur aussi desséché et endurci ; c'est votre affaire. Quant à moi, je ferai ce que bon me semble. » La colère le libère du pouvoir de ses adversaires et le laisse en accord avec lui-même, centré sur lui-même. Jésus est aussi « triste » ; le texte grec exprime ici une sorte de compassion. Jésus prend d'abord du recul, mais il ne rompt pas le lien avec eux ; il leur tend la main, déplorant cette dureté qu'il est capable de ressentir de l'intérieur: que peut-il bien en être de ces cœurs pour qu'ils soient devenus tellement secs ? Quelle peur doit les étreindre, pour qu'ils soient si étroits ! Combien de désespoir, et combien de mépris pour l'homme faut-il avoir en soi, pour que l'on se ferme ainsi à la souffrance ? Pour pouvoir établir un vrai contact avec les autres, il faut être centré sur soi-même, autonome. Qui n'a pas ses frontières propres est déterminé par les sentiments des autres et n'agit pas librement. Jésus, lui, est libre ; il voudrait avoir une relation avec les pharisiens, ces « séparés », il leur tend avec tristesse une main qu'ils ne prennent pas. Au contraire, ils s'en vont et décident de le faire mourir. Ainsi, Marc annonce déjà la destinée violente de Jésus, en même temps qu'il relate cet acte guérisseur, cette lutte contre les puissances démoniaques. Lors de la Passion, les démons sembleront l'emporter, mais la mort de Jésus marquera sa victoire définitive sur eux. Les pharisiens qui décident sa mort ne savent pas qu'ils scellent ainsi la défaite de toutes les puissances qui menacent la vie ; en effet, dans la mort nous recevrons nous aussi la vie qui est donnée à l'homme à la main sèche.


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Modifié le  14-02-2012.